En quelques décennies, tout a changé. La France, à l'heure des gilets jaunes, n'a plus rien à voir avec cette nation une et indivisible structurée par un référentiel culturel commun. Et lorsque l'analyste s'essaie à rendre compte de la dynamique de cette métamorphose, c'est un archipel d'îless'ignorant les unes les autres qui se dessine sous les yeux fascinés du lecteur.
C'est que le socle de la France d'autrefois, sa matrice catho-républicaine, s'est complètement disloqué. Jérôme Fourquet envisage d'abord les conséquences anthropologiques et culturelles de cette érosion, et il remarque notamment combien notre relation au corps a changé (le développement de pratiques comme le tatouage et l'incinération en témoigne) ainsi que notre rapport à l'animalité (le veganisme en donne la mesure). Mais, plus spectaculaire encore, l'effacement progressif de l'ancienne France sous la pression de la France nouvelle induit un effet d'« archipelisation » de la société tout entière : sécession des élites, autonomisation des catégories populaires, formation d'un réduit catholique, instauration d'une société multiculturelle de fait, dislocation des références culturelles communes (comme l'illustre, par exemple, la spectaculaire diversification des prénoms).
À la lumière de ce bouleversement sans précédent, on comprend mieux la crise que traverse notre système politique : dans ce contexte de fragmentation, l'agrégation des intérêts particuliers au sein de coalitions larges est tout simplement devenue impossible. En témoignent, bien sûr, l'élection présidentielle de 2017 et les suites que l'on sait...
Avec de nombreuses cartes, tableaux et graphiques originaux réalisés par Sylvain Manternach, géographe et cartographe.
Les thuriféraires de la mondialisation, comme ses détracteurs, focalisent identiquement leurs analyses sur la collusion de l'économie et des nouveaux avatars, téléinformatiques, de la technique. Et, pour dresser leurs bilans ' positif ou négatif ', ils scrutent et traquent identiquement les effets du processus dans les mêmes champs multiples et hétérogènes de l'écologie et du droit, de la psychologie et de la sexologie, de la linguistique et de la morale, de la politique et des arts figuratifs' Mais dans cet inventaire borgésien, un domaine demeure, de part et d'autre, absent': celui de la spatialité, autrement dit, des modalités selon lesquelles les sociétés humaines construisent et vivent leur environnement spatial.
À l'issue d'une série d'articles, écrits au fil des vingt dernières années, sur les figures multiples de la spatialisation et de son histoire (architecture, urbanisme, aménagement, protection du patrimoine), Françoise Choay découvre progressivement un propre de l'homme, ''la compétence d'édifier'', et les enjeux majeurs dont cette compétence est dépositaire à l'heure de la mondialisation.
Sang, organes, cellules, tissus, embryons, etc. : le corps humain parcellisé est devenu la source d'une nouvelle plus-value. Dans la course mondialisée à l'innovation médicale, le vivant est soumis à trois opérations qui caractérisent ce qu'on appelle la bio économie : sa réduction au statut d'objet, grâce aux technologies de fragmentation du corps, le stockage des fragments grâce aux technologies de maintien du vivant in vitro, et leur commercialisation. Entre questionnement épistémologique et analyse sociologique, ce livre passionnant éclaire les enjeux économiques, politiques et éthiques de cette économie particulière. Ainsi s'attarde-t-il sur le recyclage des tissus humains (cordons ombilicaux, organes, etc.), en montrant que ce terme cache leur marchandisation. De même fait-il apparaître que derrière l'appel massif au don (sang, ovules, sperme) se développe une logique d'appropriation et de brevetage. La production de la vie elle-même, grâce à celle d'embryons et de cellules souches embryonnaires, nourrit une forme voilée d'exploitation du corps féminin. Et inévitablement, dans notre économie mondialisée, ce capital issu de la « valorisation » du corps parcellisé se nourrit des corps des plus démunis, avec la sous-traitance des essais cliniques vers les pays émergents, ou le tourisme médical. Une somme de découvertes en même temps qu'une réflexion éthique engagée.
La Caisse veille sur l'épargne des citoyens, elle est leur premier assureur, finance une partie des retraites, le développement des collectivités locales et le logement social. Elle est également propriétaire de stations de ski (La Plagne, Les Arcs, Tignes), du Futuroscope, du parc Astérix, de la salle Pleyel, des restaurants Quick ou encore du très coûteux Théâtre des Champs-Élysées. La Caisse est partout. Et parce qu'elle est riche à milliards, la Caisse peut tout.
Derrière la façade transparente et ultra-moderne de son siège social, rue de Lille, derrière un storytelling très au point, où il est question de promotion des femmes, d'aide aux PME ou de développement durable, se cache la boîte noire de la République. Grâce à la Caisse, l'Elysée peut financer un ami dans le besoin (Luc Besson, François de La Brosse, Henri Proglio, François Sarkozy...), les activités artistiques ou les amitiés de la Première dame, mais aussi procéder à des rapprochements industriels, affaiblir les uns pour renforcer les autres. Parce qu'elle est aussi actionnaire de toutes les grandes entreprises françaises ou presque, la Caisse se trouve en effet au carrefour des jeux d'influence et d'argent
Un hommage sans complaisance qui renouvelle la lecture du dernier
Barthes, à loccasion des trente ans de sa mort.
« La littérature et le droit à la mort » est le titre dun texte célèbre de
Maurice Blanchot.
Trente ans après la mort de Roland Barthes (26 mars 1980), un de ses
proches amis, Eric Marty, lui rend un hommage fondé sur les textes
mêmes, en particulier La chambre claire et surtout le Journal de deuil,
un ensemble de notes prises pendant près de deux ans par lauteur des
Fragments dun discours amoureux suite à la mort de sa mère en octobre
1977, et publié en février 2009 dans la collection « Fiction & Cie ».
Rappelant le climat des années 1970, et soulignant laudace et parfois la
solitude de Barthes, ce bref essai issu dune conférence donnée en février
2010 au Collège de France, part dune question éminemment moderne : «
quai-je le droit, que mest-il possible décrire ? » Dans ses derniers
livres et écrits, Roland Barthes sinterroge souvent sur le singulier et sur
ce qui, de ce singulier, peut se convertir en généralité ou en théorie. Cest
le rêve, formulé à voix haute, dune « mathesis singularis », une science
du singulier. Avec le Journal de deuil, Barthes plonge au plus profond de
lintime, tout au bord de là où la parole séteint. Ce texte, suggère Eric
Marty, ne pouvait exister quà titre posthume, car il ny avait personne
pour pouvoir lentendre du vivant de lauteur. Ce Journal était posthume
dans son écriture même.
Autant quune analyse des derniers écrits de Barthes, cette conférence est
une analyse des rapports de la littérature à la mort (en écho, notamment,
aux réflexions de Maurice Blanchot). Sa publication constitue un
hommage, intellectuel et sans pathos, à Roland Barthes dont la
publication des cours et séminaires se poursuit par ailleurs.
Eric Marty est né en 1955 à Paris. Agrégé de lettres, il est professeur à
lUniversité Paris VII. Il a publié aux Éditions du Seuil notamment un
essai, Roland Barthes, le métier décrire (collection « Fiction & Cie »,
2006). Il est par ailleurs responsable de lédition des oeuvres complètes
de Roland Barthes en 5 volumes, ainsi que des cours et séminaires.
Un écrivain peut-il tout dire, et si non, quelles sont les limites ? Celles-ci ont-elles évolué, ou les interdits sont-ils permanents ? Un écrivain doit-il tout dire, et si oui, les lois de la République des lettres lui font-elles obligation d'enfreindre celles du pouvoir et de la morale ?Telles sont quelques-unes des questions qu'aborde ce livre d'une ampleur intellectuelle et politique considérable. La liberté de l'auteur est indissociable de sa responsabilité, autrement dit d'une réflexion sur le rôle social de l'écrivain et sur les pouvoirs, réels ou supposés, de l'écrit. C'est ce lien que l'une des meilleures spécialistes de la condition des écrivains à travers l'histoire s'est attachée à penser pendant dix ans.L'étude traite ces questions à quatre moments-clés, qui marquent autant d'étapes dans l'histoire de la morale publique en France : la Restauration, le Second Empire, la Troisième République et la Libération. On y revisite des procès célèbres : ceux de Béranger, Courier, Flaubert, Baudelaire, ceux des naturalistes et, à partir d'archives inédites, ceux des intellectuels collaborationnistes. L'épilogue examine la redéfinition de ces enjeux des années 1950 à nos jours : les formes de censure se font plus discrètes, la parole de l'écrivain a perdu de son poids dans l'espace public, mais l'actualité montre que la littérature peut encore être scandaleuse.
Trois générations de femmes à la Guadeloupe depuis le milieu du XIXe siècle jusqu'aux premières années du XXe : La première, Bébé, est la fille de La Femme Solitude, une esclave devenue un personnage mythique ; elle est achetée par la veuve d'un planteur. Elle est un peu sorcière, voit des apparitions de Jésus. Un pauvre blanc l'achète, « la met en case », lui fait trois filles. Il finira par l'épouser avant de mourir. La seconde, c'est Hortensia, une des fille de Bébé. L'esclavage a été aboli mais rien n'a changé vraiment. Hortensia est, comme sa mère, une étrange petite fille, avide de sortilèges, tentée par la révolte mais prisonnière de sa condition. La troisième femme est la fille d'Hortensia. On l'appelle Mariotte. Elle vit avec sa grand-mère, Man Louise, sa mère et ses deux tantes. L'enfant s'attache à un grand gaillard qui lui fait un peu peur mais lui raconte, à sa façon, l'histoire de son aïeule, la Femme Solitude.
De nombreux personnages, hauts en couleur, vivent autour des trois héroïnes. Tout un petit monde revit dans une langue colorée et savoureuse. Le réalisme du quotidien est enchanté par les pensées et les sentiments des trois femmes : univers mystérieux où errent des ombres et des démons, où surnagent les restes de religion chrétienne. L'existence n'est pas facile, mais c'est la joie ou du moins l'élan à vivre qui l'emporte toujours.
" on ne cesse de parler de crise des institutions, de l'école, de l'hôpital, du travail social...
Et, à terme, de la république. il faut aller au-delà de cette plainte et de cette nostalgie.
Longtemps, le travail sur autrui, le travail consistant à éduquer, à former, à soigner, s'est inscrit dans ce que j'appelle un programme institutionnel le professionnel, armé d'une vocation, appuyé sur des valeurs légitimes et universelles, mettait en oeuvre une discipline dont il pensait qu'elle socialisait et libérait les individus.
Les contradictions de la modernité épuisent aujourd'hui ce modèle et les professionnels du travail sur autrui ont le sentiment d'être emportés par une crise continue et par une sorte de décadence irréversible.
Dans le déclin de l'institution, j'ai voulu montrer que cette mutation procédait de la modernité elle-même et qu'elle n'avait pas que des aspects négatifs, qu'elle n'était pas la fin de la vie sociale.
Plutôt que de se laisser emporter par un sentiment de chute parce qu'il n'imagine pas d'autre avenir qu'un passé idéalisé, il nous faut essayer de maîtriser les effets de cette mutation en inventant des figures institutionnelles plus démocratiques, plus diversifiées et plus humaines. " f. d.
La fin prévisible du pétrole fracasse la certitude d'une énergie éternelle et bon marché. Comment les grands pays réagissent-ils ? Aurons-nous, demain, assez de pétrole et de gaz, assez d'électricité, pour chauffer nos maisons et remplir le réservoir de nos voitures ? Qui remplacera l'or noir ? Serge Enderlin a parcouru la planète du Canada à la Chine, de l'Afrique aux États-Unis pour, exemple à l'appui, montrer à quoi ressemblera l'après-pétrole. Ce récit se construit sous la forme de tableaux successifs, comme autant de métaphores d'un monde malade, mais pas forcément condamné. Avec pour objectif d'entrer dans les logiques à l'oeuvre dans des pays qui n'ont pas, comme la France, placé tous leurs oeufs dans un réacteur nucléaire. Les États-Unis occupent une place prépondérante dans ce récit de voyage sur la piste de la révolution énergétique. Parce qu'ils restent, même si la Chine finira bien plus vite que prévu par les rattraper, les premiers consommateurs d'énergie au monde - et les premiers gaspilleurs. Le Canada, où a lieu, jusqu'à l'absurde, l'une des dernières grandes ruées vers l'or noir, symbolique de la fuite en avant d'un monde drogué au pétrole. L'Allemagne, l'Espagne et le Danemark ont pris une belle longueur d'avance dans la bataille pour les énergies propres. La Chine est devenue, au printemps 2007, la première puissance mondiale... des émissions de gaz à effet de serre.
Parce qu'un pays qui accable ses juges menace l'une des bases de sa démocratie, Michèle Bernard- Requin livre ici son témoignage. Sans mâcher ses mots, elle prend la défense des juges, aujourd'hui traînés au banc des accusés. Elle revient longuement sur diverses affaires qui ont mis les magistrats au coeur des interrogations de société l'affaire d'Outreau, bien sûr, mais aussi celle du sang contaminé, qu'elle a connue de l'intérieure, et d'autres encore. Connue du grand public depuis son apparition très remarquée dans le film de Raymond Depardon 10e Chambre, instants d'audience, elle détaille le fonctionnement denotre appareil judiciaire, en dénonce les dérives et en rappelle les principes. Eclairant, son plaidoyer pour une justice équitable et pondérée s'appuie en outre sur une fine analyse du rôle des médias mais aussi de la médecine moderne dans les affaires judiciaires les plus récentes.