"À partir du mois de septembre l'année dernière, je n'ai plus rien fait d'autre qu'attendre un homme : qu'il me téléphone et qu'il vienne chez moi."
Annie Ernaux
Depuis l'Antiquité, le mythe de Pygmalion et Galatée n'a de cesse de fasciner et d'inspirer des artistes. Mais ce récit millénaire du sculpteur misanthrope, épris de la statue qu'il vient de réaliser, demeure inachevé : lorsque Galatée est transformée en être vivant par les dieux, elle est réduite au silence par les hommes. Enfin, il est temps pour elle de devenir la narratrice de sa propre histoire et ainsi de choisir elle-même son destin.
"Le monde magnifique et horrible de Mariana Enriquez, tel qu'on l'entrevoit dans Les Dangers de fumer au lit, avec ses adolescents détraqués, ses fantômes, les miséreux tristes et furieux de l'Argentine moderne, est la découverte la plus excitante que j'ai faite en littérature depuis longtemps."
Kazuo Ishiguro, Prix Nobel de littératurePeuplées d'adolescentes rebelles, d'étranges sorcières, de fantômes à la dérive et de femmes affamées, les douze histoires qui composent ce recueil manient avec brio les codes de l'horreur, tout en apportant au genre une voix radicalement moderne et poétique. Si elle fait preuve d'une grande tendresse envers ses personnages, souvent féminins, des êtres qui souffrent, qui ont peur, qui sont opprimés, Mariana Enriquez scrute les abîmes les plus profonds de l'âme humaine, explorant de son écriture à l'extraordinaire pouvoir évocateur les voies les plus souterraines de la sexualité, du fanatisme, des obsessions.
Un homme transformé en chien par un quotidien millimétré ; des êtres privés de plaisir qui préfèrent devenir aveugles plutôt que de voir ce qu'ils ratent ; une femme, recluse depuis l'adolescence, qui tente de garder un lien lucide avec le monde en écrivant sa vie en poèmes ou une autre attendant sous la neige que son amant caché dans le verglas la prenne dans ses bras... Qui veille sans relâche derrière la petite lucarne qui ne s'éteint jamais ? Est-ce le grand-père voyant défiler sur Instagram l'arrogance de sa progéniture ou la mère qui couve son fils de tant de présence qu'elle l'efface ?
Claire Castillon écrit la solitude, l'absence d'amour, l'incompréhension entre les êtres, mais aussi la lumière, l'espoir. De ces nouvelles surprenantes, parfois fantastiques, parfois grinçantes et drôles, se dégage un univers parfaitement singulier.
"Partout dans le monde, la question du genre est cruciale. Alors j'aimerais aujourd'hui que nous nous mettions à rêver à un monde différent et à le préparer. Un monde plus équitable. Un monde où les hommes et les femmes seront plus heureux et plus honnêtes envers eux-mêmes. Et voici le point de départ : nous devons élever nos filles autrement. Nous devons élever nos fils autrement."
Dans ces deux discours, Chimamanda Ngozi Adichie porte une voix, rare et puissante, d'émancipation.
"Lorsque j'ai rencontré Ehlmann, il était debout sur le bord de la route, sa voiture garée en catastrophe sur la bande d'arrêt d'urgence, feux de détresse allumés. J'ai vu qu'il souriait, que tout son visage était tordu de larmes et de rires à la fois, j'ai pensé qu'il était fou."
Avec Les orages, Sylvain Prudhomme explore ces moments où un être vacille, où tout à coup il est à nu. Heures de vérité. Bouleversements parfois infimes, presque invisibles du dehors. Tourmentes après lesquelles reviennent le calme, le soleil, la lumière.
"Légendes saisies en vol, fables ou apologues, ces Nouvelles Orientales forment un édifice à part dans l'oeuvre de Marguerite Yourcenar, précieux comme une chapelle dans un vaste palais. Le réel s'y fait changeant, le rêve et le mythe y parlent un langage à chaque fois nouveau, et si le désir, la passion y brûlent souvent d'une ardeur brutale, presque inattendue, c'est peut-être qu'ils trouvent dans l'admirable économie de ces brefs récits le contraste idéal et nécessaire à leur soudain flamboiement."
Matthieu Galey
Visionnaire lors de sa parution en 2001, ce recueil de nouvelles dOlga Tokarczuk na rien perdu de son mordant, ni de sa pertinente actualité. Avec une espièglerie qui rappelle Nabokov, la romancière polonaise nous dévoile un quotidien truffé de portes secrètes, de miroirs traversés et dautres distorsions de lespace et du temps. Une année à Berlin, un séjour au Mont-Noir, un mois de résidence en Écosse, sont le point de départ de plusieurs de ces nouvelles, et lon verra que lanodin dune bourse décriture peut conduire aux paradoxes les plus fous.
Comment les gens se comportent-ils lorsque se brouillent les frontières entre fiction et réalité ? Un écrivain surprend un matin, assis à sa table, un double de lui-même qui corrige tranquillement son dernier manuscrit Une lectrice de romans policiers trouve le moyen dintervenir dans lintrigue, beaucoup trop molle, du mauvais polar quelle a commencé et les morts, soudain, vont se multiplier. En séjour à Berlin, une femme dâge moyen sétonne de devenir quelconque dans le maelstrom de la grande ville, avant de goûter au plaisir de pouvoir être nimporte qui : tour à tour une Turque voilée, un homme daffaires, une petite fan de Britney Spears
Foi qui se questionne, désir déçu, homosexualité qui ne peut se dire, âpretés de l'exil... Dans ces deux nouvelles, l'auteure d'Americanah tisse magistralement les trajectoires de personnages pour lesquels 'la terre des origines' est lointaine et que secouent d'intimes déchirements.
'Le jour où un avion s'écrasa au Nigeria, le même jour où la première dame nigériane mourut, on frappa fort à la porte d'Ukamaka à Princeton. Les coups la surprirent car personne ne se présentait jamais à sa porte sans prévenir - on était en Amérique, après tout...
"Très cher père,
Tu m'as demandé récemment pourquoi je prétends avoir peur de toi. Comme d'habitude, je n'ai rien su te répondre..."
Réel et fiction ne font qu'un dans la lettre désespérée que Kafka adresse à son père. Il tente, en vain, de comprendre leur relation qui mêle admiration et répulsion, peur et amour, respect et mépris.
Réquisitoire jamais remis à son destinataire, tentative obstinée pour comprendre, la Lettre au père est au centre de l'oeuvre de Kafka.
"Miss Campbell écoutait sans dire un mot, et levait parfois ses beaux yeux sur le jeune homme, qui ne cherchait point à la gêner de ses regards. Elle ne put s'empêcher de sourire, lorsqu'il parla de sa chasse ou plutôt de sa pêche aux nuances marines. Est-ce qu'elle aussi n'était pas en quête de pareille aventure, un peu moins périlleuse, toutefois, la chasse aux nuances célestes, la chasse au Rayon-Vert ?"
Lorsque deux jeunes téméraires se mettent en quête du rayon vert, phénomène optique aussi spectaculaire que rare... L'irrésistible histoire d'amour, insouciante et espiègle, qui inspira le cinéaste Éric Rohmer.
'De tous les talents ordinairement en possession de mon sexe j'étais la maîtresse. Au couvent, mes progrès avaient toujours été plus Grands que ne le permettait l'instruction reçue, les connaissances dont je disposais étonnaient chez quelqu'un de mon âge, et je surpassai bientôt mes maîtres.
Toutes les vertus susceptibles d'orner un esprit se retrouvaient dans le mien. Il était le lieu de rencontre de toutes les qualités et de tous les sentiments élevés.
Mon seul défaut, s'il mérite ce nom, était de posséder une sensibilité trop vive, prompte à s'émouvoir de toutes les afflictions de mes amis, des personnes de ma connaissance, et plus encore des miennes.'
Dans ce bref roman épistolaire composé par Jane Austen à l'âge de quinze ans se goûte déjà la plume de la maturité, aussi délicate qu'ironique.
« Le deuxième été après la mort de sa femme, Peter Boyce décida de louer la petite maison au bout de Cod Cove Road. » Boyle pensait pouvoir se réinventer. Il lui faudra d'abord tenter de faire la paix avec sa fille. Mais pourquoi propose-t-il à une jeune femme rencontrée par hasard de l'héberger chez lui ?
La nuit de l'élection de Bill Clinton, Jimmy Green sort d'un bar parisien et prend une sérieuse raclée. Il a « la sensation d'être ivre plutôt que blessé ».
À Dublin, Paris, New York ou dans le Michigan, des Américains et des Irlandais sur le second versant de leur vie se penchent sur leur passé. Comme Jonathan Bell, Ricky Grace et les autres, tous sont confrontés à une forme de solitude, de dépaysement ou simplement de rupture. Richard Ford les observe. Non sans ans une certaine ironie, il décrit leurs doutes et leur inconfort, met en scène leurs désarrois et recueille leurs confidences.
"Il faut puiser aux sources primitives. C'est la même sève, répandue dans le sol, qui produit tous les arbres de la forêt, si divers de port, de fruits, de feuillage. C'est la même nature qui féconde et nourrit les génies les plus différents. Le vrai poëte est un arbre qui peut être battu de tous les vents et abreuvé de toutes les rosées, qui porte ses ouvrages comme ses fruits... À quoi bon s'attacher à un maître ? se greffer sur un modèle ? Il vaut mieux encore être ronce ou chardon, nourri de la même terre que le cèdre et le palmier, que d'être le fungus ou le lichen de ces grands arbres. La ronce vit, le fungus végète."
Dans cette préface-manifeste, composition de jeunesse (1827), Victor Hugo délimite les formes du drame romantique.
D'abord destiné à la troisième partie des Misérables, et originellement intitulé Les Fleurs, ce texte a été retiré du manuscrit, écarté mais non oublié, l'auteur souhaitant le réserver pour un autre projet, 'mon travail sur L'Âme', note-t-il. Preuve que ces pages, venues du roman de 1862, portées par les silhouettes difformes des voleurs et des escarpes, se détachent et regardent vers un autre horizon ; elles désignent un plan supérieur, idéal, spirituel et métaphysique, auquel Hugo entendait sans doute consacrer les dimensions d'un livre. Retenons simplement l'impératif qui s'en dégage : scruter le fond de l'âme. Et pour ce faire, procéder par degrés, aller du fini à l'infini, de l'immanent au transcendant.'
Henri Scepi.
'Prostitution, vice, crime, qu'importe! La nuit a beau s'épaissir, l'étincelle persiste. Quelque descente que vous fassiez, il y a de la lumière. Lumière dans le mendiant, lumière dans le vagabond, lumière dans le voleur, lumière dans la fille des rues. Plus vous vous enfoncez bas, plus la lueur miraculeuse s'obstine.
"Il y a à parier que toute idée publique, toute convention reçue, est une sottise, car elle a convenu au plus grand nombre." Exergue du Dictionnaire des idées reçues - oeuvre inachevée aux multiples manuscrits -, cette maxime de Chamfort en donne le ton incisif. "Actrice", "mélancolie", "pédantisme", "voyageur", "candeur", "duel", "laboureurs", "religion"... Sur des sujets aussi variés, Flaubert y relève en effet pensées figées et lieux communs, traquant la vacuité avec une ironie mordante.
"Dictionnaire : En rire - n'est fait que pour les ignorants."
"Je ne peux pas oublier la guerre. Je le voudrais. Je passe des fois deux jours ou trois sans y penser et brusquement, je la revois, je la sens, je l'entends, je la subis encore. Et j'ai peur. Ce soir est la fin d'un beau jour de juillet. La plaine sous moi est devenue toute rousse. On va couper les blés. L'air, le ciel, la terre sont immobiles et calmes. Vingt ans ont passé. Et depuis vingt ans, malgré la vie, les douleurs et les bonheurs, je ne me suis pas lavé de la guerre. L'horreur de ces quatre ans est toujours en moi. Je porte la marque. Tous les survivants portent la marque."
Un texte bouleversant dans lequel Jean Giono livre, à la veille de la Seconde Guerre mondiale, un véritable plaidoyer pour la paix.
"Le visage de Miss Barrett était le visage las d'une malade, privée d'air, de lumière, de liberté. Le sien était le chaud visage coloré d'un petit animal ; débordant de santé et d'énergie. Séparés et pourtant issus du même moule, se pouvait-il que chacun exprimât ce qui sommeillait en l'autre ? Elle aurait pu être - tout cela ; et lui - Mais non. Entre eux s'ouvrait le gouffre le plus profond qui puisse séparer deux créatures. Elle avait le don de la parole. Il en était privé. Elle était une femme ; il était un chien. Étroitement liés, à jamais distincts, ils restaient là à s'observer."
Une biographie fictive emplie de tendresse, qui reflète avec finesse la relation touchante de Miss Barrett et de Flush, son jeune cocker. Entre eux se crée un dialogue silencieux, dépourvu de mots, mais empreint de gestes et de regards affectueux.
Dans cette vallée reculée qu'est Sleepy Hollow, quiétude et silence semblent maîtres des lieux. Pas assez, cependant, pour faire oublier les superstitions et légendes qui s'y propagent : la contrée serait en effet ensorcelée, condamnant ses habitants à une existence somnambulique et sous l'influence d'un inquiétant Cavalier sans tête. C'est lui que l'instituteur Ichabod Crane, de passage dans la région, va, un soir, trouver sur son chemin...
Le monde de la jungle est bien cruel... Rejeté par une partie du Clan des Loups qui l'avait recueilli, Mowgli doit rester sur ses gardes, car Shere Khan, le tigre boiteux, a juré qu'il se vengerait du petit d'homme. Heureusement, le jeune garçon peut compter sur Akela, le chef du Clan, Bagheera, la panthère noire, et Baloo, l'ours brun, déterminés à veiller sur lui.
Brossant une galerie de personnages à la fois attachants et terrifiants, ces trois contes initiatiques rappellent que la compagnie des bêtes n'est pas toujours moins féroce que celle des hommes.
+ Questionnaire de lecture
+ Analyses guidées
+ Groupements de textes :
o quand les animaux parlent des hommes
o quand les hommes ne sont plus les maîtres
+ Un livre, un film :
o Mowgli : La Légende de la jungle d'Andy Serkis
+ Prolongement : le poème « Si» de Kipling.
Paris grave, Paris insouciante, Paris occupée, Paris libre, Paris village, Paris grand'ville, Paris meurtrie, Paris reconquise, Paris monumentale, Paris secrète... Vingt-cinq grandes plumes de la littérature mondiale, classique et contemporaine, de Montaigne à Dany Laferrière, portent aux nues, en ses mille visages, la Ville Lumière.
Un hommage littéraire à Paris.
'Mon manager, Bradley Stevenson, qui au cours des années a été un ami précieux à sa manière, soutient que j'ai en moi l'étoffe d'un vrai pro. Pas seulement comme musicien de studio, mais comme vedette de première division. Il est faux que les saxophonistes ne deviennent plus des vedettes, affirme-t-il, et il répète sa liste de noms. Marcus Lightfoot. Silvio Tarrentini. Ce sont tous des musiciens de jazz, fais-je remarquer. C'est bien ce que tu es, non? réplique-t-il. Mais je ne le suis encore que dans mes rêves les plus secrets. Dans le monde réel - quand je n'ai pas le visage entièrement enveloppé de pansements comme en ce moment - je suis juste un ténor payé à la journée, raisonnablement sollicité pour l'enregistrement en studio, ou lorsqu'un groupe a perdu son saxo habituel. S'ils veulent de la pop, je joue de la pop. R&B? Parfait. Publicités pour des voitures, thème musical d'un talk show, j'accepte. Ces temps-ci je suis un musicien de jazz seulement quand je suis enfermé dans mon réduit.'
Dans ces deux nouvelles construites en écho, se croisent et se répondent, de Venise à Beverly Hills, quelques magnifiques figures de musiciens désenchantés.
Femme altière se prostituant dans les rues de Paris ou joueuse de whist au regard lointain, les héroïnes méphistophéliques de ces deux nouvelles sont aussi malfaisantes qu'envoûtantes.
"Le tuer, pour tout cela ? Non ! c'était trop doux et trop rapide ! Il fallait quelque chose de plus lent et de plus cruel..."
Au coeur des Carpathes, dans le sombre château de Brankovan, les princes Grégoriska et Kostaki, s'affrontent pour conquérir la belle Hedwige. Or Kostaki est un vampire qui revient chaque nuit assouvir sa soif de sang auprès de la jeune femme devenue l'objet d'une lutte sans merci entre les deux frères.
Une étrange histoire pleine de romantisme et de fantastique où l'angoisse le dispute au romanesque...