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« Le 18 août 2021, j'ai passé la nuit au Musée Anne Frank, dans l'Annexe. Anne Frank, que tout le monde connaît tellement qu'il n'en sait pas grand-chose. Comment l'appeler, son célèbre journal, que tous les écoliers ont lu et dont aucun adulte ne se souvient vraiment.
Est-ce un témoignage, un testament, une oeuvre ?
Celle d'une jeune fille, qui n'aura pour tout voyage qu'un escalier à monter et à descendre, moins d'une quarantaine de mètres carrés à arpenter, sept cent soixante jours durant. La nuit, je l'imaginais semblable à un recueillement, à un silence. J'imaginais la nuit propice à accueillir l'absence d'Anne Frank. Mais je me suis trompée. La nuit s'est habitée, éclairée de reflets ; au coeur de l'Annexe, une urgence se tenait tapie encore, à retrouver. »L. L. -
De quelle obscure impulsion ce texte, qui m'a hantée pendant de longs mois, s'est-il nourri ? Tout ce que je sais, c'est que j'ai été emportée, engloutie par le siècle d'histoire qui a traversé cette prison de Lyon, la prison de Montluc. Jean Moulin, Raymond Samuel, dit Aubrac, René Leynaud, André Devigny, les enfants d'Izieu y ont tous été emprisonnés. Puis de nombreux condamnés à mort algériens. Klaus Barbie, lui, y est incarcéré avant son procès en 1983. Ce n'est qu'en 2009 que l'aile des femmes, la dernière en activité, est définitivement fermée, en même temps que la prison.
Toute la complexité de l'histoire semble s'être concentrée en un seul point, mais ses tentacules s'étendent bien plus loin. J'ai essayé de les suivre, de les démêler. De les pénétrer au cours d'une nuit blanche où je pensais aller à la rencontre des esprits de tant de résistants, et où j'ai fini par me rendre compte que le fantôme, en ces lieux, c'était moi. -
« J'ai prévenu tout le monde, j'ai dit que j'allais traîner partout. On m'a montré comment fonctionne le complexe tableau électrique qui ressemble à un ready-made de Duchamp, on a coupé les alarmes et j'ai proposé qu'on avertisse le commissariat d'arrondissement : si quelqu'un les sonne pour s'émouvoir de la présence d'un rôdeur, que personne ne s'inquiète, ça serait moi. »
Depuis ce jour de juin 1982 où le jeune Thierry Frémaux a découvert la « Villa Lumière » dans le quartier de Monplaisir, à Lyon, il ne l'a plus jamais quittée. Passer une nuit à l'endroit où Auguste et Louis ont donné le coup d'envoi du cinéma mondial : l'opportunité tombait sous le sens. Une façon pour le délégué général du Festival de Cannes d'effectuer une déambulation passionnante et virtuose, de ramener au présent le passé de la rue du Premier-Film, d'exprimer sa dette et sa passion pour cet art si particulier qui donne à voir le monde en même temps qu'il l'imagine. -
À peine entré dans l'exposition que le Centre Pompidou consacre à Francis Bacon, Yannick Haenel ne voit plus rien : une migraine ophtalmique l'oblige à passer plusieurs heures allongé sur le lit de camp qu'on a dressé pour lui dans le musée.
En retrouvant ses esprits, Yannick Haenel se met à parcourir l'exposition en proie à des états d'intensité contradictoires, qu'il raconte comme une aventure initiatique. Est-il possible de ressentir intégralement la peinture, de la vivre comme une ivresse passionnée ?
À travers le face-à-face avec plusieurs tableaux comme OEdipe et le sphinx ou le triptyque consacré à la mort de George Dyer (l'amant de Bacon), le livre détaille les impacts de la peinture de Bacon sur celui qui en fait l'expérience : sa violence ouvre alors l'auteur à des séquences de sorcellerie de son enfance africaine qui vont lui donner une clef pour traverser cette épreuve.
Mais au fil de la nuit on accède au coeur d'une odyssée heureuse ; en tournant dans son labyrinthe de sensations extrêmes, Yannick Haenel dévoile un aspect moins connu de la peinture de Bacon : la sensualité de ses couleurs, la fraîcheur sexuelle de son bleu.
L'expérience de jouissance culmine dans une illumination scandée par la dernière chanson de David Bowie lorsque l'auteur, qui a demandé à ce qu'on coupe toutes les lumières à trois heures du matin, évolue dans le musée avec une lampe torche à la main et danse extasié en voyant la peinture sortir du mur, comme à Lascaux. -
« Il est tout blanc, d'un blanc spectral, taillé en Hermès. Privé de son socle, pour ainsi dire détrôné, il jouxte des artefacts faits de la même substance dure, compacte, quelque peu élimés par le temps, imprégnés de la même grandeur surannée. La vitrine expose une matière - l'ivoire - à travers ses multiples usages exhumés d'un grenier de grand-mère. Un chausse-pied, des coquetiers, des ronds de serviette, un coupe-papier, un bougeoir, des boules de billard, une brosse à cheveux, et au milieu de ce bric-à-brac de brocanteur, un roi avec sa barbe et ses médailles. Léopold II n'est plus qu'un bibelot parmi d'autres. »King Kasaï est le nom d'un éléphant empaillé qui fut longtemps le symbole du Musée royal de l'Afrique centrale, situé près de Bruxelles. C'est devant le « roi du Kasaï » et près d'un Léopold II à la gloire déboulonnée, dans cette ancienne vitrine du projet colonial belge aujourd'hui rebaptisée Africa Museum, que Christophe Boltanski passe la nuit. En partant sur les traces du chasseur qui participa à la vaste expédition zoologique du Musée et abattit l'éléphant en 1956, l'auteur s'aventure au coeur des plus violentes ténèbres, celles de notre mémoire.
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« Pourquoi, parmi tous les musées du monde, j'ai choisi d'aller dormir au milieu des Poussin à deux kilomètres de chez moi ? Aimer Poussin, le classique des classiques, il y avait eu, dans cette préférence affichée dès mon adolescence, une part incompressible de snobisme. Passer la nuit au milieu des Poussin était une manière de revenir sur mes années jeunesses. Et sur l'absence de celles de Poussin. Car ce peintre apparait immédiatement classique. De ses années parisiennes, ses années et oeuvres de jeunesse, nous ne connaissons presque rien. Tout ce que nous savons, d'ailleurs, c'est Balzac qui l'a inventé, en faisant du jeune apprenti peintre le héros du Chef-d'oeuvre inconnu.
Les hasards du calendrier ont voulu qu'au moment de cette nuit au Louvre, j'étais justement en train de redécouvrir mon propre chef d'oeuvre inconnu : une oeuvre honteuse et immontable. Il y a vingt ans, en arrivant à Paris, j'avais en effet accroché une petite caméra à mon cou, avec laquelle j'ai filmé mes années d'apprentissage. Il y a là quarante-huit heures de film que j'avais décidé, pour la première fois, de visionner en entier. J'en étais pile à la moitié, à la moitié de ma jeunesse quand j'ai passé une nuit entouré des oeuvres de ce grand peintre sans jeunesse. Et comme je comprenais qu'il ait caché celle-ci, moi qui étais rendu depuis plusieurs jours à la mienne. Car la jeunesse a toujours quelque chose de honteux. Surtout quand on voudrait qu'elle soit celle d'un jeune artiste. Qui devra multiplier les expériences et les échecs, découvrir sa personnalité, rejouer l'éternelle comédie de la montée à Paris et des débuts dans la vie.
Au peintre de l'éternelle maturité qu'est Poussin, j'ai donc essayé de prêter une oeuvre de jeunesse, maladroite et fervente : la mienne. »A. B. -
Comme un écrivain qui pense que « toute audace véritable vient de l'intérieur », Leïla Slimani n'aime pas sortir de chez elle, et préfère la solitude à la distraction. Pourquoi alors accepter cette proposition d'une nuit blanche à la pointe de la Douane, à Venise, dans les collections d'art de la Fondation Pinault, qui ne lui parlent guère ?Autour de cette « impossibilité » d'un livre, avec un art subtil de digresser dans la nuit vénitienne, Leila Slimani nous parle d'elle, de l'enfermement, du mouvement, du voyage, de l'intimité, de l'identité, de l'entre-deux, entre Orient et Occident, où elle navigue et chaloupe, comme Venise à la pointe de la Douane, comme la cité sur pilotis vouée à la destruction et à la beauté, s'enrichissant et empruntant, silencieuse et raconteuse à la fois.C'est une confession discrète, où l'auteure parle de son père jadis emprisonné, mais c'est une confession pudique, qui n'appuie jamais, légère, grave, toujours à sa juste place : « Écrire, c'est jouer avec le silence, c'est dire, de manière détournée, des secrets indicibles dans la vie réelle ». C'est aussi un livre, intense, éclairé de l'intérieur, sur la disparition du beau, et donc sur l'urgence d'en jouir, la splendeur de l'éphémère. Leila Slimani cite Duras : « Écrire, c'est ça aussi, sans doute, c'est effacer. Remplacer. » Au petit matin, l'auteure, réveillée et consciente, sort de l'édifice comme d'un rêve, et il ne reste plus rien de cette nuit que le parfum des fleurs. Et un livre.
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« Fin mai 2022, j'ai acheté, dans un magasin parisien spécialisé dans les randonnées en montagne, un lit de camp, un sac de couchage et une lampe torche. Le lendemain, j'ai installé mon équipement d'alpiniste sur le sol froid du musée de l'Acropole à Athènes pour y passer une nuit de lune décroissante, entièrement seule.
Comment arriverez-vous à dormir avec tous ces yeux de marbre qui vous fixent ? m'avait-on prévenue. Mais c'est une nuit dans un musée vide que je m'apprêtais à passer devant l'Acropole. À Athènes, il ne reste que des miettes : un pied de déesse, la main de Zeus, la tête d'un cheval. Nous avons tous dérobé quelque chose à la Grèce : ses idées, à partir desquelles nous avons forgé nos racines occidentales. Les marbres du Parthénon, arrachés à la pioche et envoyés en Angleterre par Lord Elgin au début du XIXe siècle. Dans ce vol collectif, je ne suis qu'un imposteur parmi d'autres : je ne suis pas grecque, je ne parle pas le grec moderne, et pourtant j'ai bâti ma vie et mon écriture sur ce vol.
Ce soir, ce privilège sans précédent dans l'histoire du musée m'a pourtant été accordé, à moi, qui n'ai ni Homère ni Platon dans mon sac, mais la biographie de Lord Elgin. »A. M.
Traduit de l'italien par Béatrice Robert-Boissier -
Prix Médicis Essai 2021
Si l'on s'en tient aux faits, l'auteure passe la nuit du 7 au 8 mars 2020 au musée du Louvre, section des Antiques, salle des Cariatides, avec un sac en bandoulière dans lequel il y a, entre autres, une barre de nougat illicite.Les faits, heureusement, ne sont rien dans ce livre personnel, original, traversé d'ombres nocturnes et de fantômes du passé, de glissades pieds nus sous la Vénus de Milo, ce livre joyeux et mélancolique, qui précise vite son intention : « Je suis venue ici cette nuit pour redevenir la fille de mon père. »Quel père, en fait ? Celui, biologique, né en 1951 dans un village du Monténégro, alors une partie de la défunte Yougoslavie, qui vient à Paris par amour, par fuite, pour voir le Louvre, une ville dans la ville, un père qui ne sait pas bien parler le français et voit tout en noir et blanc. Celui, plus probable, le père exilé à qui l'on a dit que « sa fille ne parlera jamais français », l'esthète-pilleur qui se promène l'air de rien avec sa fille Jakuta au Louvre, et lui demande, lui transmet en héritage : « Et toi, comment t'y prendrais-tu pour voler la Joconde ? ». En effet : comment ? Même si l'auteure exprime que « la honte vous rassemble bien mieux que le reste », il serait aisé, après la lecture, d'affirmer que l'amour, celui réciproque d'un père pour sa fille unique, vous rassemble et vous tient debout. Comme la Vénus de Milo, les siècles durant. -
Quelle idée d'aller passer une nuit de décembre 2020 dans ce musée-là !
Le Musée National de Beyrouth se situe sur la ligne de démarcation qui fut la frontière visible, meurtrière, dite « la ligne verte » par la luxuriance de la végétation, entre Beyrouth-Est et Beyrouth-Ouest, tout au long de la guerre civile, laquelle dura 15 ans, si l'on admet même que la guerre est aujourd'hui achevée.
Diane Mazloum est une romancière qui aime l'imagination et le passé récent. Elle n'aurait sans doute pas dû se frotter à la matière historique, sédimentée, confetti d'empires disparus, qui veille sous les murs et s'agrippe aux cryptes du seul musée qui fait office de mémoire au Liban.
Musée d'une nation ou de l'absence d'une nation ?
Par quel miracle ce temple qui abrite les trésors des civilisations disparues, des Égyptiens aux Babyloniens, des Byzantins aux Mamelouks, a-t-il pu survivre aux assauts de la brutalité des hommes ?
Ici, c'est un franc-tireur qui creusa un trou dans le mur pour y viser le passant dont la tête éclatera. Là, ce sont les soldats israéliens qui se réchauffèrent à un brasier aux pieds noircis du Colosse. Ici, c'est une statuette en équilibre que le souffle de l'explosion du 4 août 2020 a fait dévier de son axe ? Là, ce sont les 31 statues aux yeux tournés vers l'intérieur qui semblent plus vivantes que les vivants du dehors ?
La romancière n'aime pas le passé lointain. Mais elle se rend compte, dans cet émouvant récit griffé de vérités, que de Rome à Beyrouth, c'est le passé qui fait le présent, c'est l'ombre des morts qui recouvre la pauvre existence des vivants et l'illumine.
« Le Liban est celui à qui l'avenir arrive le premier » écrit Dominique Eddé.
Alors, si cette phrase est vraie, cette nuit au musée, une nuit qui s'étend jusqu'au jour, sera peut-être le livre que la romancière ne voulait pas écrire sur la fin de nos civilisations. Mais qui s'est imposé à elle. -
Leçon de Ténèbres : « Genre musical français du XVIIe qui accompagne les offices des ténèbres pour voix et basse continue. Se jouait donc la nuit à l'Église, les jeudi, vendredi et samedi saints. »
Le Musée Greco à Tolède n'est certes pas une Église, et Léonor de Recondo, quoique violoniste, n'y va pas pour jouer, dans cette nuit affolante de chaleur, de désir rentré, de beauté fulgurante, mais pour rencontrer, enfin, le peintre qu'elle admire, Dominikos Theotokopoulos, dit le Greco, l'un des artistes les plus originaux du XVIe siècle, le fondateur de l'école Espagnole.
Oui, Léonor doit le rencontrer et passer une nuit entière avec lui, dans ce musée surchauffée et ombreux, qui fut sa maison. Le Greco doit quitter sa Candie, natale, en Crète et traverser Venise, Rome et Madrid, où il fut de ces peintres-errants, au service de l'Église et des puissants du temps. Mais Le Greco est mort en 1614 à Tolède. Viendra-t-il au rendez-vous ? -
« Pourquoi avoir choisi le musée Guimet, dédié aux arts asiatiques ? Et non pas Cernuschi, près du parc Monceau, ou les collections du Quai Branly, face à la Seine? Sans doute parce que j'avais toujours aimé son architecture néoclassique, sorte de palais néo-pompéien avec sa rotonde et ses frontons palladiens. Un je-ne-sais-quoi de victorien aussi... En tout cas de romanesque. Fertile en histoires et en secrets. Autrefois, mon grand-père y venait le week-end, cherchant à diluer sa mélancolie entre les bouddhas en grès, les dragons ailés et les panoplies des samouraïs. Guimet lui était un havre, une cachette. La fréquentation des Ailleurs et des Autrefois peut être un baume. Une revanche sur le sort...
Pour moi aussi, l'établissement restait une adresse à part. À l'intérieur de cette arche, les trésors de Chine, d'Indochine, d'Inde du Sud, du Tibet, du Japon ou d'Afghanistan attendaient le visiteur. À mes yeux, ils étaient non pas un rêve mais le rêve lui-même, concrétisé. L'Asie, synonyme du merveilleux ! Ou plutôt sa fiction : mélange de vrai, de fantasmé et d'attente. Autant dire d'Imaginaire. Cette fois, j'y resterai enfermé comme dans une chambre prise par la pénombre. Afin d'en écouter les légendes, d'en croiser chaque revenant... »
J.-L. C. -
Il y a un seul amour.
Ou plutôt, n'y a-t-il qu'un seul amour ? Parle-t-on du même amour pour une oeuvre ou pour l'être aimé ? Qu'en est-il de notre amour ? semble adresser Amigorena à celle qu'il aime et qui ne sera pas auprès de lui cette nuit. N'a-t-il pas déjà écrit tout au long de sa vie sur des musées, des expositions, des peintures ? Oui, cette promenade nocturne au musée Picasso sera donc une tentative de s'extraire de l'amour, de prendre la distance nécessaire pour tenter d'y mettre des mots.
Justement les mots, il les dépose, les juxtapose et joue avec. Au coeur du musée endormi, les interrogations deviennent des affirmations, les affirmations des interrogations. Tenant résolument le fil de l'amour, Amigorena attend, dans le sommeil et les rêves, que les oeuvres le guident et lui apportent quelques réponses. Dans cette nuit de solitude forcée, où s'invitent Picasso, Giacometti ou encore Vermeer et Bataille, il explore avec pudeur et profondeur le sentiment amoureux, l'écriture, les oeuvres, et ce qui inextricablement les lie. -
Nous sommes le 5 novembre 2019 et je m'apprête à passer la nuit seul dans la Grande Galerie de l'Évolution du Muséum d'Histoire naturelle de Paris.Cette perspective est-elle si effrayante ? Je n'ai pas l'intention de laisser ma peau aux taxidermistes du muséum ! Ils ont assez à faire avec l'éléphant de mer. Je suis sans doute le seul de la bande au contraire qui ne risque rien dans les heures à venir. Sont réunies ici les conditions de la plus parfaite sérénité. Ces toisons soyeuses, ces pelages, ces peluches... n'est-ce pas ce qui depuis toujours rassure l'enfant craintif dans le grand vide noir de la nuit ? Cette nuit dans la grande galerie, Éric Chevillard la passera plus précisément dans la salle des espèces disparues et menacées. Et si triste est le constat du regroupement de ces deux populations, le lieu, effrayant, exotique, fantasmagorique est plus que propice à l'écriture.De déambulations en contemplations, l'auteur en vient à s'imaginer sauveur de ces mondes perdus. S'ensuivent des pages sublimes et virevoltantes dans lesquelles il tente de faire revenir à la vie des animaux disparus, notamment un oeuf de vorompatra,, grand émeu volatilisé depuis trois siècles, uniquement par la force d'invocation d'un poème. Car « Pour ressusciter les espèces éteintes, mieux que l'incertain clonage cellulaire, ne serait-il pas judicieux de s'en remettre à la poésie ? »
Emporté par l'incroyable élan de ce livre, le lecteur ne pourra que tomber d'accord. -
Nuit espagnole
Adel Abdessemed, Christophe Ono-Dit-Biot
- Stock
- Ma nuit au musée
- 2 Octobre 2019
- 9782234086883
Adel Abdessemed, l'un des plus audacieux artistes d'aujourd'hui, connu dans le monde entier pour sa liberté irréductible exercée contre tous les pouvoirs, reçoit une mystérieuse invitation à passer une nuit dans le musée Picasso, au coeur de l'exposition « Guernica ». Mais la toile mythique y sera absente. Peinte au lendemain des bombardements fascistes, qui le 26 avril 1937 ont réduit en cendres la ville basque, elle ne peut plus quitter l'Espagne.
Il sera accompagné d'un écrivain qui admire son travail, et a reçu la même invitation, sans plus d'explication. Il sera le « scribe » de l'artiste.
Le temps d'une nuit intense, sillonnée par les éclairs lancés par les oeuvres d'art, les confessions de l'artiste sur son travail et l'Algérie, et ses dessins au charbon, ils vont traverser le musée comme deux Orphée qui ne peuvent pas se retourner. Dans ce pas de deux sensuel et électrique, on ne sait plus qui manipule qui. -
Quelle est cette main inconnue et surpuissante qui attrape Enki Bilal au beau milieu de la nuit et le projette sur un lit de camp ?
Quel est ce lieu mystérieux et hanté dans lequel il a atterri ?
Qui sont ces créatures, minotaure, cheval ou humains déformés, que l'artiste rencontre en essayant de trouver son chemin dans ce labyrinthe sombre et inquiétant ?
Que lui veulent-elles ? Et dans quel état sortira-t-il de cette incroyable nuit ?
Dans une déambulation hallucinée, Enki Bilal croise tant les personnages de Picasso, ses muses, ses modèles, que le grand maître lui-même et Goya, son idole. Son errance dans les couloirs du Musée Picasso prend la forme d'une rêverie éveillée qui nous fait toucher du doigt l'oeuvre du peintre espagnol d'une façon sensorielle et envoûtante, pour aboutir en épiphanie à la présentation de Guernica, la grande toile du maître. -
« Un "tableau mort" - en termes de vente aux enchères - qualifie les oeuvres qui ne peuvent être authentifiées pour quelque raison étrangère à l'oeuvre même. Mais parfois ces dénommés "tableaux morts" suggèrent plus de vie que bien d'autres toiles authentifiées par convenance. »Quand elle visite, dans le cadre de la collection « Ma nuit au musée », les salles du musée Thyssen-Bornemisza, à Madrid, en mars 2019, Zoé Valdés cherche des toiles qui n'y sont pas, ou n'y sont que dans son souvenir. Sachant que l'art l'a sauvée « de la constante incurie sociale et politique » qui régnait à Cuba, Zoé va faire une étrange plongée dans un monde mi-chimérique mi-réelle qui nous entraîne à la poursuite de deux muses, et deux peintres célèbres, Balthus et Bonnard.Comment les aborder, ces deux maîtres de la pose suggestive, érotique, infantile, faussement innocente, que par le roman-résurrection du passé ?Le livre se divise alors en deux parties : la première met en scène, sous l'apparence joueuse de l'imaginaire, une jeune modèle qui pose pour Balthus, jouant au chat et à la souris avec le maître du « Passage du commerce Saint-André ». Qui regarde qui ? Qui désire qui ? L'art produit-il du rêve, à mi-conscience, ou au contraire du réel brûlant ?La deuxième partie nous montre une autre muse, Renée de Monchaty, amante idéalisée par Pierre Bonnard dans « Femme à sa toilette », et qui se suicida par amour déçu, en 1925. Les muses sont des jeunes filles, des adolescentes parfois, des innocentes sacrifiées sur l'autel du désir des peintres. Aujourd'hui, elles feraient des procès. A l'époque, elles n'avaient le choix que de poser pour de l'argent, ou pire, par dévotion.Dans ce récit somnambulique et sensuel, teinté du réalisme magique de l'Amérique latine, le vrai et le faux s'entrelacent comme des fleurs vénéneuses.
Traduit de l'espagnol par Albert Bensoussan -
Bernard Chambaz a choisi de passer « sa » nuit dans le musée de Franco Maria Ricci, tout près de Parme. Franco Maria Ricci fut l'âme et la cheville ouvrière de la prestigieuse revue FMR dont Fellini disait qu'elle était « la perle noire » de l'édition. A son musée, qui rassemble ses collections d'oeuvres d'art et dont la première pièce est une Jaguar, il a adjoint un labyrinthe de bambous qui est le plus grand labyrinthe au monde. C'est lui qui veille aujourd'hui, vieilli, sur ce domaine.
L'écrivain s'est lancé avec joie dans ce projet, qui lui permettait de replonger aux origines d'une passion italienne increvable. Une joie qui ne l'a pas quitté et qui irrigue ces pages pourtant confrontées à des réalités plutôt rudes. Que ce soient les tableaux d'Antonio Ligabue qui le bouleversent par un autoportrait et un tigre où se révèlent sa folie et son innocence ; les « memento mori », ces vanités qui nous rappellent « Souviens-toi que tu vas mourir », même si elles font la paire avec les Carpe diem.
Au cours de cette nuit, Bernard Chambaz croise de nombreuses vies qui tissent son récit. Celle de Franco Maria Ricci, jeune puis vieillissant, qui suscite une tendresse timide. Celle des écrivains qui lui ont donné des textes, comme Borgès ou Giono et Zavattini. Celle de Donizetti dont on avait volé la calotte crânienne lors de son autopsie. Celle de Clelia Marchi, une pay¬sanne de soixante-douze ans qui écrivit à l'encre sur le drap nuptial l'histoire, ou celle du bottier Ferragamo qui commença comme petit cordonnier. Celle d'une femme du XVIème siècle dont le regard est si contemporain.