Depuis plus de deux siècles, la France vit sous l'empire d'une passion constitutionnelle. Près de vingt constitutions depuis 1791, de nombreux projets inaboutis, des ruptures violentes et récurrentes. Trois monarchies limitées ou constitutionnelles, deux empires, cinq républiques sous diverses formes se sont succédé dans le désordre. La Révolution a trouvé sa société, elle n'a pas trouvé son gouvernement. La Cinquième République elle-même, la plus durable avec la Troisième, a révisé vingt-quatre fois sa constitution en en un demi-siècle. Toutes ces réformes n'ont pas été heureuses. Ainsi la réduction de la durée du mandat présidentiel, du septennat au quinquennat, a-t-elle bouleversé le fonctionnement des institutions en supprimant la dimension régalienne et arbitrale de la présidence. Cette constitution est un aboutissement, parce qu'elle intègre beaucoup d'éléments de ses devancières. Elle est héritière autant qu'innovatrice. Elle est en même temps régulièrement remise en cause et sa survie n'est pas assurée, même si elle a jusqu'à présent surmonté toutes les crises qui l'ont menacée. Elle a notamment initié un contrôle de constitutionnalité des lois, indéfiniment développé, et une pratique référendaire qui s'est à l'inverse raréfiée. Répond-elle aux défis du XXIe siècle ? Elle reste la meilleure que la France ait connue depuis la Révolution, mais sa construction n'est pas achevée. Il lui manque une organisation plus ouverte et une utilisation plus fréquente des référendums. Il lui manque aussi la consacration d'un authentique pouvoir judiciaire, unique et indépendant, qui éliminerait ces anomalies que sont l'existence d'une justice « administrative » et d'un Conseil constitutionnel qui est en réalité une troisième chambre politique. Corriger ces anomalies permettrait de concilier démocratie politique et État de droit.
Une vague de regrets, mêlée d'excuses et de quelques éléments de repentance, a déferlé sur la planète à partir de la fin des années 1980. Bill Clinton a exprimé ses « regrets » pour l'esclavage qui fut pratiqué aux États-Unis. En juillet 2008, le Congrès américain a adopté un texte « présentant des excuses aux Noirs américains au nom du peuple des États-Unis pour le mal qui leur a été fait » sous les lois ségrégationnistes et « pour leurs ancêtres qui ont souffert de l'esclavage ». Tony Blair a, de son côté, exprimé en 2006 des « regrets » sur le rôle joué par le Royaume-Uni dans le commerce triangulaire, mais sans aller jusqu'à présenter des excuses pour la traite des Noirs. Pourtant, en 1997, le même Tony Blair demandait pardon pour la négligence des autorités britanniques face à la grande famine d'Irlande. La reine Elisabeth II avait présenté pour sa part, en 1995, des excuses officielles à la plus grande tribu Maori de Nouvelle-Zélande pour la dévastation de ses terres au xixe siècle. En Australie, un vaste mouvement de mémoire collective et de contrition s'est développé à l'égard des agissements passés des colons blancs à l'encontre des Aborigènes. Le 12 février 2008, le Premier ministre Kevin Rudd a finalement présenté les excuses officielles de son pays aux Aborigènes pour les injustices qu'ils ont subies pendant deux siècles. La liste est longue et la France y aura aussi contribué en 1995, lorsque le Président Jacques Chirac reconnut la responsabilité de la France de Vichy dans la déportation des juifs entre 1942 et 1944. Le moins que l'on puisse dire, c'est que ces actes de repentance ou d'excuse ne vont pas sans difficulté. Politiquement, de façon générale, ne pas présenter des excuses paraît désormais de plus en plus inexcusable. Mais s'excuse-t-on jamais assez ? Pire : dans les cas extrêmes, les excuses ont-elles encore un sens ? Au fond, quelle est la validité morale des « excuses » institutionnelles ou collectives. Ces interrogations en entraînent d'autres : qui peut présenter de telles excuses ? Ces regrets sont-ils sincères, ces excuses sont-elles pleines et entières ? Que valent des regrets sans excuses ? L'ombre d'une intention politique de circonstance enlève-t-elle toute valeur à l'expression de regrets ou d'excuses ? Des excuses sans réparation matérielle ont-elles une valeur ? Etc. Dans le fond, la question est bien de savoir si la notion même de « réparation morale » a un sens. Si l'on considère que cette réparation vise à restaurer ou instaurer la confiance, comment un tel programme est-il réalisable dans le cas particulier des institutions ou des entités collectives ? À partir d'analyses de cas, ce dossier, coordonné par Jacques Sémelin et Kora Andrieu, s'attache à faire le point sur cette difficile question des excuses d'État.
l'importance du voyage dans la fiction romanesque à l'âge baroque n'est plus à démontrer.
dans le sillage des héros grecs, les protagonistes des romans français s'aventurent de plus en plus nombreux au-delà des mers. plusieurs d'entre eux aboutissent en amérique, en asie et même parfois en afrique. l'horizon romanesque, faisant écho à la vogue des relations de séjour en pays éloignés, se dilate et investit des régions jusqu'alors méconnues. toutefois, les pays étrangers sont loin de jouir d'une égale faveur de la part des écrivains.
alors que la barbarie et l'empire ottoman forment des terres de prédilection pour nouer des intrigues galantes, l'afrique noire, l'amérique septentrionale et la scandinavie, le plus souvent boudées, restent des destinations aléatoires, où les héros de romans aboutissent malgré eux. cet ouvrage de synthèse met ainsi au jour les disparités qui opposent les grandes aires géographiques de la planète dans l'imaginaire du temps.
miroir des préjugés de l'époque, l'exotisme romanesque n'est toutefois pas aussi fantaisiste que certains critiques ont voulu le faire croire.
bien au contraire, les descriptions des ailleurs lointains s'appuient le plus souvent sur des sources livresques de première ou de seconde main, qu'il s'agisse des écrits des cosmographes, des comptes rendus de missions, ou encore des récits de découverte. cette étude met au jour la dette de ces auteurs envers la littérature viatique, comme on l'appelle le plus souvent maintenant. loin de constituer des inventions purement originales, les êtres insolites que gomberville, de norsègue et brémond imaginent dans les vastes étendues de l'afrique ou de l'amérique ont quelque ancêtre chez les historiens de l'antiquité ou les compilateurs de la renaissance.
cette exploration du lieu fictif s'inscrit donc dans une perspective archéologique remontant au fil des textes à travers les âges.