Les philosophes ont la chance d'avoir Minerve pour déesse protectrice. Sa chouette prend son vol au crépuscule. Heureuse coïncidence, c'est là où j'en suis. Ce volatile, juste avant la nuit, nous prête sa vue plongeante sur l'enfilade des hasards qui nous a fait grandir. On peut alors rembobiner le film et discerner comme une courbe reliant nos saisons l'une à l'autre. Pardon pour l'outrecuidance mais il m'a semblé que la parabole d'un « intellectuel » français, ayant connu plus d'un pays et quelques écarts de conduite, pouvait, comme un document parmi d'autres, contribuer à la cartographie d'une époque très bousculée et encore un peu floue.
Régis Debray
Un autre monde est en train de naître dans notre monde même. Un autre esprit, dans nos façons d'être, d'espérer et d'avoir peur. L'angoisse écologique qui donne sa couleur au siècle nouveau n'annonce rien moins, pour notre civilisation, qu'un changement d'englobant. Ce fut l'Histoire, ce sera la Nature. De quoi prendre le vert très au sérieux.Le faustien, on l'a compris, est un Blanc, un homme pressé, un manager qui aime les graphes et les tableaux Excel. C'est un urbain, un entreprenant, un homme d'initiative et d'industrie. L'ailleurs le démange et le lendemain l'aspire. Tout le contraire du bouseux collé à son lisier et au retour des saisons. Il ne cache pas son magot sous le matelas, lui, il risque, joue et gagne. Il a foi dans le progrès, non sans raison, puisqu'il diminue sans cesse, par ses astuces et prototypes, la peine de vivre. Le maître des horloges a des plans de campagne appelés business plan, car c'est un guerrier, et des réunions d'État-major, appelés G8 ou G20, car il voit grand. En tout, il mesure la performance, exige le maximum, et brandit le chronomètre. En clair, c'est l'homme de l'Esprit, tel que Valéry le définit : non un flatus vocis, un gaz immatériel et flou, mais une puissance pratique de transformation du réel, active et proactive. L'Esprit, oui, par opposition à la Nature. Ces termes démodés, jugés peu recevables par nos maîtres-déconstructeurs, il nous faut les assumer, avec ou sans leur majuscule hautaine. S'entendra ici, prosaïquement, par nature, à la façon stoïcienne, l'ensemble des choses qui ne dépendent pas de nous, et par esprit, le système élaboré des forces qui s'appliquent à faire qu'elles dépendent de nous. Ce ne sont pas là deux blocs métaphysiques immuables, puisqu'au fur et à mesure que l'esprit accroît ses moyens d'intervention, tout ce sur quoi nous n'avons pas prise - la nature - doit battre en retraite. Réduire au plus strict minimum l'antique force des choses, ce fut la raison d'être, et à court terme, la réussite de qui ouvre des lignes aériennes, arase les haies vives et asphalte les chemins de terre. Qui procède au remembrement des parcelles, assainit le bocage, améliore la productivité, fait ses comptes et réclame un bonus. Qui, en ville, taille des avenues et remplace les ruelles par des esplanades. Tout ce qui entrave et enclave, pèse et empèse, l'insupporte - Destin, Tradition, ADN. Pas de fil à la patte. Répéter, c'est radoter. Son devoir à lui est de créer du jamais vu. L'an I de la République. L'an I de l'homme nouveau. « Du passé faisons table rase », de la couche d'ozone, des nappes phréatiques et des séquoias aussi, et demain l'Internationale sera le genre humain. Rien de plus condamnable, à ses yeux, et de plus rétro, que l'injonction d'Épictète : « Ne prétends pas changer la nature des choses. » Lui, justement, c'est son métier, son orgueil et sa feuille de route.Faust n'a pas seulement pris un coup de vieux. Il a poussé les feux de l'Anthropocène, jusqu'au Brésil et au Groenland. Au pire un pyromane, au mieux un irresponsable. Ignorant que ce que nous détruisons nous détruit nous-mêmes, le locataire de la planète qui se prenait pour son propriétaire se retrouve en squatter insolvable, menacé d'expulsion.
Pour mieux comprendre ce qui lui reste d'emprise sur les esprits, il faut rendre à l'idée sublime d'Union européenne son aura d'origine. Et rappeler à ceux de ses vingt-sept membres qui l'auraient oublié d'où vient la bannière bleue aux seulement douze étoiles d'or : du Nouveau Testament, Apocalypse de saint Jean, 12. L'emblème qui flotte au-dessus de nos têtes qui ne croient plus au Ciel remonte à l'an 95 de notre ère et célèbre l'imminent avènement du Royaume. Vision mystique engrisaillée, projet politique encalminé : les deux ne sont pas sans rapport.
Régis Debray
Un dépôt de bilan, le soir venu, peut se consigner dans la bonne humeur, avec des clins d'oeil et des sourires. C'est cette variante teintée d'humour, rarement pratiquée au tribunal de Commerce, qu'a choisie Régis Debray, sous forme d'une lettre d'un père à son fils bachelier, en quête de conseils sur la filière à suivre. Littérature, Sociologie, Politique, Sciences dures ? En empruntant le langage entrepreneurial, celui de notre temps, l'auteur lui expose les bénéfices qu'un jeune homme peut dorénavant attendre de ces diverses occupations.
En lui recommandant instamment d'éviter la carrière politique.
Bien au-delà de simples conseils d'orientation professionnelle, ce livre testament voudrait faire le point sur le métier de vivre dans le monde d'aujourd'hui, sans rien sacrifier aux convenances.
Beaucoup d'adultes et quelques délurés sans âge particulier pourraient sans doute y trouver leur compte.
L'acte souvent suicidaire du terroriste nous force à penser ce qu'on ne veut plus et même ce qu'on ne peut plus penser : la place de la mort dans notre vie.
R. D.
Comment penser la frontie re ? Franchir les frontie res pour e chapper a la mise re et a la guerre ; e tablir des frontie res pour dessiner les contours de l'E tat-nation ; fermer les frontie res pour se prote ger d'envahisseurs ; re ver sur la frontie re, a un monde plus ouvert de libre circulation... En ce de but de XXIe sie cle, jamais la frontie re n'a e te a ce point un lieu de controverse, d'espoir, de critiques. Une ligne qu'il faut atteindre, renforcer ou de truire.
Le philosophe et l'historien peuvent nous aider a appre hender cette re alite complexe et contradictoire: un débat qui fait histoire entre Re gis Debray et Benjamin Stora.
Nous avons tous en tête des « affaires » traitées autant par les médias qu'utilisées par le personnel politique, dans lesquelles la « laïcité » tient le mauvais rôle. La loi qui a instauré la séparation des Églises et de l'État semblait donner une ligne de conduite claire. Mais la morale laïque se heurte à des obstacles nouveaux, nés souvent du brouillage entre le public et le privé, de la prééminence de l'individu sur le citoyen.Chacun garde en mémoire les faits de société qui semblent remettre en cause son principe, comme s'il s'opposait, par des glissements continus, aux convictions personnelles : la cantine scolaire doit-elle proposer différents types de repas ? le caricaturiste peut-il faire preuve d'irrévérence sans être sous le coup d'une condamnation ? peut-on autoriser le travail pendant le « jour du seigneur » ? dans quels lieux célébrer les funérailles présidentielles ? est-il acceptable qu'une femme préfère être examinée par une doctoresse plutôt que par un docteur ?
À toutes ces questions qui se transforment en casse-tête pour la vie collective, Régis Debray et Didier Leschi répondent en rappelant ce que dit la loi de 1905 sur l'exercice de la laïcité, plus prévoyante qu'on ne le croit, et font également appel au bon sens et à la volonté de vivre selon, comme ils l'écrivent, un « régime de cohabitation civilisée ».
38 cas pratiques, depuis A comme Aumônerie jusqu'à Z comme Zèle (en passant par Cloches et Muezzin, Foulard, Dimanche, Non-mixité, Vues de l'étranger), soumis à l'examen impartial et informé de Régis Debray et de Didier Leschi.