" Vous êtes naïve, Madame le Juge ! " Voilà comment un commissaire de police a apostrophé, à ses débuts, Isabelle Rome, coupable selon lui d'avoir accordé trop légèrement une liberté conditionnelle. Alors jeune juge d'application des peines (JAP), elle continuera pourtant de regarder les criminels comme des êtres humains.
Son témoignage est une véritable immersion dans le quotidien d'un juge.
On a rarement eu accès, en effet, au face-à-face intime d'un magistrat avec détenus et victimes. Isabelle Rome évoque même les doutes qui l'ont parfois habitée lors de ces rencontres. Ici le meurtrier d'une jeune femme, là un enfant violenté le jour de Noël. Ou encore le criminel nazi Klaus Barbie en prison VIP, qui voulait une grâce médicale, et le terroriste longtemps recherché par toutes les polices du monde, Khaled Kelkal...
En fait, toute la question du sens que la société veut donner à la sanction se trouve au coeur de ce récit, ainsi que le souligne Boris Cyrulnik dans sa Préface : " Que ressent un juge quand il doit juger une mère infanticide qui a tué un enfant du même âge que le sien ? ".
Isabelle Rome ne manie pas la langue de bois. Punir autrement qu'en incarcérant systématiquement, continuer de traiter les mineurs comme des enfants même s'ils ont commis un délit : autant de pistes de réflexion qu'elle propose
Aujourd'hui haute fonctionnaire chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes au Ministère de la justice, Isabelle Rome présidait encore très récemment des cours d'assises.
Depuis trente ans, cette juge s'est engagée pour les droits des femmes, la prévention de la délinquance et la réinsertion. Elle n'a eu de cesse de comprendre les causes des passages à l'acte criminel et a noué un dialogue singulier avec ceux que l'on appelle souvent « les jeunes des banlieues ».
A l'heure où la France est secouée par la vague noire du terrorisme, ces derniers - majoritairement Français, musulmans, nés de parents étrangers - sont aujourd'hui propulsés à la croisée de notre méfiance et de nos peurs. Sont-ils en réalité si différents des autres ? Ne doivent-ils pas, eux aussi, vivre et se projeter dans l'avenir au sein d'une société en crise ?
A Creil, Isabelle Rome a voulu donner la parole à ceux qui, souvent, se sentent exclus ou stigmatisés. Elle a aussi interrogé les adultes qui les entourent au quotidien et croient en eux. Des professionnels souvent « invisibles » que sont les chefs d'établissements scolaires, les personnels éducatifs, culturels ou associatifs, élus locaux...
A l'issue d'un travail minutieux et très documenté, structuré autour de dix axes comme le sentiment d'appartenance sociale, la perception de la loi et des valeurs républicaines, le fait religieux et la laïcité ou encore la place des filles et le respect des droits des femmes, Isabelle Rome nous propose des pistes de réflexion originales et audacieuses qui nous permettent d'espérer encore. Et c'est à l'instauration d'un nouveau droit fondamental qu'elle invite, in fine, notre société : celui du droit à l'espoir pour tous.
La colère et la lassitude exprimées par les surveillants pénitentiaires, au cours de ces derniers mois, nous ont rappelé à tous que la prison, ce n'est pas seulement des murs et des barreaux.
La prison, c'est aussi une histoire d'humanités. De destins croisés, de journées et de longues nuits partagées, une promiscuité parfois insupportable. Une communauté de vie qui s'impose, au-delà des statuts et des différences. Malgré la surpopulation, malgré la violence presque quotidienne et l'oubli fréquent de ceux qui sont à l'extérieur. Il faut ici coexister.
Isabelle Rome, nommée, à vingt-trois ans, juge de l'application des peines à Lyon, a arpenté les coursives de nombreuses maisons d'arrêt et connaît cette réalité. Citoyenne engagée pour les droits des femmes, elle a voulu aller plus loin encore et donner la parole à des détenues et des surveillantes de la maison d'arrêt des femmes de Versailles, où elle a enquêté pendant près d'une année.
Chez les surveillantes de ce huis clos exclusivement féminin, Isabelle Rome a retrouvé le même sentiment d'isolement que chez celles qui y sont enfermées.
Loin de toute démagogie, elle pose cette question : se satisfaire d'une prison fermée sur elle-même, échouant à remplir sa mission de réinsertion, n'est-ce pas reléguer détenues, personnel pénitentiaire et, finalement, l'ensemble de notre justice « à l'ombre de la République » ?
Elle lance de nouvelles pistes de réflexion sur le système pénal et pénitentiaire, en faisant des propositions concrètes tendant à assurer plus de dignité à tous, à favoriser la réinsertion des détenus et à oeuvrer pour une meilleure reconnaissance des personnels qui en assurent la garde.